Repères chronologiques
- Valentine Prax
- Ossip Zadkine
1890-1905
Une enfance en Russie : la terre, l’eau et le bois
Ossip Zadkine naît le 4 juillet 1890 à Vitebsk, aujourd’hui en Biélorussie.
Son père, Ephime Zadkine, enseigne le grec et le latin au séminaire de Smolensk. Ce lettré de famille juive s’est converti à la religion orthodoxe pour épouser Sophie Lester, descendante d’une famille écossaise de constructeurs de bateaux, émigrée en Russie au XVIIe siècle. Elevé « loin des préoccupations religieuses », le jeune Ossip grandit entre la maison de bois de Smolensk, le domaine de l’oncle maternel, sur les rives de la Duina et la chair profonde des forêts de pins. Très tôt s’impose la nécessité de « dessiner tout et à tout moment ». La découverte d’un bloc de terre glaise dans le jardin éveille chez l’enfant de douze ans la passion du modelage – le premier atelier de sculpture sera improvisé dans un coin de la bibliothèque paternelle.
Note :Toutes les citations, sauf mentions contraires, sont extraites du livre de Zadkine LE MAILLET ET LE CISEAU – Souvenirs de ma vie.
1897-1919
Les sources méditerranéennes
Valentine Henriette Prax naît en 1897 à Bône (Annaba). Son père Henri Prax, Catalan de Perpignan, est établi comme exploitant forestier dans cette ville qui est le deuxième port d’Algérie. Il exerce aussi les fonctions de vice-consul d’Espagne et du Portugal. A ses heures, cet homme taciturne écrit des poèmes dont le musée Zadkine conserve deux cahiers calligraphiés. Née Magliulo, la mère de Valentine est d’origine sicilienne avec des attaches à Marseille – une autre ville portuaire et à Constantine. Elle est quasiment aveugle.
Avare de confidences sur son Algérie natale, Valentine Prax laisse pourtant entendre que le souvenir de la mer demeure à vif. Mais rien n’aura détourné la jeune fille de Bône du rêve de partir, loin de cette« mer couleur saphir » et du « ciel lumineux » pour la terre promise – La France ! Paris ! – où l’on devient peintre ou poète. Après trois années d’étude à l'École des Beaux-Arts d'Alger, elle se décide à vendre les quelques bijoux donnés par sa grand-mère. Elle quitte sa famille, son pays.
Note : Toutes les citations, sauf mentions contraires, sont extraites du livre de Valentine Prax, Avec Zadkine, Souvenirs de notre vie, Lausanne-Paris, La Bibliothèque des Arts, 1973
1905-1910
« Va, mon enfant, ton chemin n’est pas dans nos parages »
En 1905 ses parents l’envoient à Sunderland, au nord l’Angleterre, chez un certain « oncle John » qui le fait inscrire à l’Art school locale et l’initie à la sculpture sur bois.
En 1906 l’adolescent rejoint un ami à Londres sans l’assentiment de son père qui lui coupe les vivres. Il s’inscrit au cours du soir du Regent Street Polytechnicum, passe tous ses dimanches au British Museum. Pour survivre, il se fait embaucher chez des artisans du meuble du quartier East End – on lui confie des ornements à tailler.
Fort de cet apprentissage, il réalise ses premières sculptures en taille directe – Tête héroïque en granit, 1908 – durant un séjour estival en Russie. « Le fils prodigue » a retrouvé en effet le chemin de la maison familiale et de la réconciliation. Son père prend la décision de l’envoyer à Paris, « là où l’on devient sculpteur ». A l’automne 1910 Zadkine pose ses valises dans un hôtel du quartier Latin.
1910-1915
Paris où « l’on devient véritablement artiste »
En décembre 1910, Zadkine s’inscrit à l’Ecole des Beaux-Arts. Au bout de six mois, il déserte. La découverte de la sculpture égyptienne au Louvre, le choc d’une tête romane le persuadent de « chercher la vie dans la simplification ou l’accentuation » des formes. Comme d’autres sculpteurs de sa génération – Amadeo Modigliani, Alexander Archipenko, Henri Gaudier-Brzeska –, Zadkine remonte aux sources vives de l’archaïsme. La seule nécessité ? « Se mettre au service du bois » ou de la pierre sans revêtir« l’uniforme académique ». Un manifeste pour la technique de la taille directe que Zadkine pratique dès 1911, replié dans le « quartier de Brie » de son atelier de la Ruche.
En 1912 il s’installe au 114, rue de Vaugirard, plus près du carrefour Vavin et du café de La Rotonde, champ magnétique de l’art moderne. Il croise Matisse, Picasso, approche Apollinaire, partage avec Modigliani « le temps des vaches maigres ».
Le Salon d’automne de 1913 lui vaut son premier collectionneur, Paul Rodocanachi qui acquiert plusieurs œuvres dont Samson et Dalila, La Sainte Famille et lui procure un nouvel atelier plus vaste et ensoleillé au 35, rue Rousselet.
1915-1918
L’engagement dans la guerre
Le 3 août 1914, la France et l’Allemagne entrent en guerre. Blaise Cendrars lance un appel à la mobilisation des « étrangers amis de la France ». Le 24 janvier 1916 Zadkine signe son engagement volontaire. Incorporé dans le 1er régiment étranger, il sert dans une section de brancardiers–infirmiers. Au mois de mai, il est affecté à l’Ambulance russe en Champagne : casernes, obus, tranchées, évacuation des blessés, mutilés, salles d’hôpital… Gazé à la fin du mois de novembre, Zadkine est évacué et hospitalisé à son tour. Réformé en octobre 1917, il retrouve la rue Rousselet avec une santé chavirée et un moral en berne. Il rapporte une quarantaine d’œuvres sur papier exécutées dans l’urgence – crayon, fusain, encre et quelques aquarelles. La force d’expression de ces dessins l’incite à en graver une vingtaine qu’il fait paraître en album sous le titre Vingt eaux-fortes de guerre par Ossip Zadkine, soldat au 1er régiment étranger affecté à l’Ambulance russe aux armées françaises.
1918-1920
Un mariage, une exposition personnelle
Son ami peintre Henri Ramey l’invite à passer l’été près de Montauban, dans le village médiéval de Bruniquel où Zadkine se retrouve en harmonie profonde – « Portes et fenêtres taillées dans la pierre avaient pour moi un beau langage grave. » Au mois d’octobre 1918, il expose avec Ramey à la Galerie Chappe-Lautier de Toulouse où il présente cinquante-sept œuvres sur papier et « quatre sculptures directes » : un bois – Les Vendanges, trois pierres où la main de l’artiste s’accorde à la forme du bloc – Dame à la mandoline. Le peintre Roger Bissière signe le catalogue.
En 1919 Valentine Prax, une jeune femme peintre, devient sa voisine rue Rousselet.
Tous deux partagent l’exil et les bonheurs âpres de la « bohème ». Ils se marient en août 1920 à Bruniquel. Deux mois auparavant, Zadkine a organisé sa première exposition personnelle en son atelier : quarante-neuf sculptures taillées dans le bois, la pierre ou le marbre. Dans la préface du catalogue, Georges Duthuit souligne la « nue simplicité » de cette création.
1919
Une cage de verre à Paris
La jeune femme débarque à Paris en 1919, tout juste majeure. Elle emménage dans la minuscule «cage de verre» de l’atelier du 35 rue Rousselet dont elle devient « l’oiseau captif pour cinquante francs par mois. » * Elle ne connaît personne. Elle est timide. Elle est pauvre. Elle fait connaissance du Russe du second étage, un sculpteur «d’allure assez curieuse» : « Je m’appelle Ossip Zadkine, et vous ? ». Il la trouve provinciale, accoutrée : « si vous revenez me voir, je vous couperai les cheveux. » Elle lui soumet ses peintures, ses dessins d’après l’antique. « Je ne vois là aucun talent …Laissez dessins et peintures… vous serez poète.» Valentine ne saurait cependant se résigner à « n’être pas peintre un jour ». Zadkine l’entraîne dans le courant des avant-gardes de Montparnasse, au petit café enfumé et bondé d’artistes de la Rotonde, au Dôme.
1920 -1921
«Je crois tout de même que tu as du talent. Ce doit être tes années aux Beaux-Arts qui t’ont gâchée. Fuis les écoles […]. Fréquente les musées ; cours les expositions, les bonnes expositions… » Zadkine se révèle un mentor averti, enthousiaste. Les cubistes, les Fauves, Picasso, Braque, Van Dongen, les toiles de Cézanne, la collection personnelle du marchand Ambroise Vollard, la lecture d’Apollinaire et de Max Jacob – autant de découvertes qui laissent Valentine « tremblante d’émotions nouvelles chaque jour ». Elle travaille volontiers sur le motif, plante son chevalet à Bièvres où Zadkine la rejoint le dimanche, « peint du paysage » à Clamart, à Montfort-l’Amaury ou Marly-le-Roi dans des harmonies de gris, vert et brun.
L’été 1920 Foujita et Fernande Barrey, sa première épouse, accueillent Valentine à Collioure. Elle reçoit un télégramme de Zadkine : « Viens. Parlerons mariage. » Elle le rejoint aussitôt à Bruniquel, cité médiévale du Quercy que Zadkine a adoptée. Ils se marient le 14 août 1920. Les parents de Valentine ont fait le voyage. Les Foujita sont leurs témoins. Zadkine est en espadrilles, Valentine porte un turban taillé par Fernande – une cérémonie on ne peut plus modeste « mais la découverte de promenades à faire parmi les bêtes, maisons séculaires, arbres et vieilles pierres compensa le regret de n’avoir pas même de quoi s’acheter des alliances. On nous en prêta. »
Tout s’enchaîne. Après une première exposition personnelle à la Galerie Mouninou de la rue Marbeuf en avril 1920, Valentine Prax expose en décembre 1921 à la Galerie La Licorne que dirige le grand collectionneur Maurice Girardin. La critique lui reconnaît une « spontanéité fraîche et sans fard », une « ingénuité qui se rit de l’ignorance ». De son côté Zborowski, le marchand de Modigliani, lui achète quelques toiles et lui ouvre un compte chez un marchand de couleurs – Valentine peut continuer de peindre en toute quiétude.
1921-1930
Peindre dans un esprit un peu neuf
Dans les environs de Bruniquel, « le Russe et sa compagne aux cheveux coupés » s’éprennent du beau village de Caylus, cher à Antoine Bourdelle. Ils y reviennent chaque été, finissent par acheter une maison délabrée où Zadkine taille son premier Orphée en bois d’orme. Dans ce pays du Quercy, Valentine retrouve l’assise d’une terre, le rituel d’une vie ancestrale, la poésie des objets humbles. « Je commençai de peindre dans un esprit un peu neuf »…. La couleur s’est réchauffée, la matière assouplie, la composition se fait plus dense, savante. La leçon de Cézanne et celle du cubisme, l’estime et les conseils du peintre Charles Dufresne (1876-1938) ont porté leurs fruits. La Procession, Couple de paysans à Caylus, L’Atelier du menuisier, Nature morte avec lapins et poule retiennent l’attention des amateurs parisiens. La Galerie Berthe Weill consacre une exposition à Valentine Prax en janvier 1924.
A côté de cette veine rustique, la mythologie où « la joie de vivre éclate en couleurs » lui inspire toute une série de peintures sur L’Enlèvement d’Europe. Rien ne pèse, rien ne bride le bleu céleste et fluide de ces espaces marins que l’on retrouve dans Le Royaume d’Amphitrite, dans Femmes et chevaux… La plasticité des éléments est l’expression d’une liberté conquise : « En art tout est permis, lui avait révélé Zadkine. Il faut donner libre cours à son imagination. » L’imagination de Valentine la Méditerranéenne entraîne Zadkine qui puise à son tour aux sources vives de l’antiquité gréco-latine. Jamais sans doute l’univers des deux artistes n’aura été aussi proche qu’au tournant des années 1930.
Valentine raconte comment elle partait « chargée d’un rouleau de ses toiles et des gouaches de Zadkine » pour les présenter à des amateurs de Bruxelles ou d’Anvers.
La jeune femme connaît alors un réel succès commercial avec ses « fixés sous verre » – une technique utilisée jadis par les imagiers populaires : présentée au travers de la vitre, la couleur reste très fraîche, étonnamment lumineuse. Le musée conserve quelques uns de ces petits formats – La Musique, La Musicienne – que Valentine Prax sertissait dans des cadres Louis XIV dénichés avec Zadkine tantôt au marché aux Puces, tantôt chez des antiquaires de Carcassonne ou de Toulouse.
En mai 1926 elle signe un contrat avec La Galerie Barbazanges qui compte parmi ses « poulains » Charles Dufresne et le sculpteur Despiau. A Bruxelles plusieurs expositions lui sont consacrées – à la Galerie Sélection en 1922, à la Galerie Le Centaure en février 1927.
1921-1925
Un intermède cubiste, une première consécration
En février 1921 Zadkine expose à la galerie La Licorne que vient d’ouvrir le docteur Girardin. Cette même année, il est naturalisé français et voit entrer au musée de Grenoble son Tigre en bois doré et une Tête de jeune fille en marbre, à l’instigation du conservateur Andry-Farcy. Recherches, tâtonnements, incursions vers des formes « autres : dans les sculptures produites de 1921 à 1924, Zadkine découpe plus nettement les plans, aiguise les arêtes, soumet les volumes à la rigueur d’une géométrie. La Femme à l’éventail qu’il expose au Salon d’automne de 1923 ou la série de l’Accordéoniste sont les plus clairs représentants du «petit monde rigide et angulaire cubiste » que le sculpteur dépasse bientôt pour revenir à lui-même.
En 1925 la Galerie Barbazanges, l’une des premières de Paris, lui consacre une grande exposition. Le critique Waldemar-George rend compte des « Idoles barbares et primitives » d’Ossip Zadkine – « Ce Slave qui ressuscite les mythes est un poète qui dispense l’émotion d’un ordre mystique et religieux ». (L’Amour de l’art).
1926-1941
La source grecque, l’enracinement d’une « terre »
L’œuvre entre dans de profondes mutations. Sans renoncer à la taille directe, Zadkine, exécute des modèles en plâtre ou en terre coulés ensuite dans le bronze. Les Ménades, Naissance de Vénus, Figure drapée, Orphée marchant, Diane … Libérées de la gangue du bloc compact, les formes se plient à l’harmonie d’un rythme fluide.
Le voyage en Grèce (1931) confirme ce retour « aux limpides sources de philosophies religieuses et esthétiques » de la plastique antique.
Depuis 1928 Zadkine a quitté l’atelier de la rue Rousselet pour « l’oasis » de la rue d’Assas. Sa notoriété se confirme par des expositions personnelles à Londres (1928), à la Biennale de Venise (1932), au Palais des beaux-arts de Bruxelles ou à New York (1933). Mais sous l’effet de la crise économique, les collectionneurs se volatilisent.
Fidèle au pays du Quercy qu’il avait découvert à l’été 1918, Zadkine et sa femme trouvent leur « terre » dans le village des Arques – une grande maison délabrée avec une grange où ils s’installent en 1934.
Une terre à laquelle Zadkine doit s’arracher après la défaite de la France et la mainmise des nazis. A la fin de mai 1941, il obtient un visa pour les Etats-Unis.
1934-1939
Un atelier, une maison, une Exposition internationale
En 1928 Zadkine et Valentine ont quitté la rue Rousselet où ils travaillaient dans des conditions très précaires pour « le petit pavillon et le jardinet, rue d’Assas que Zadkine convoitait depuis des années. Il n’avait jamais eu assez d’argent pour en régler les premiers mois de loyer. »
Quand ils n’occupent pas l’atelier parisien du 100 rue d’Assas, les deux artistes sont dans « leurs terres » du Lot, dans « la maison à la tour » du village des Arques acquise en septembre 1934. Passablement délabrée, la demeure séculaire dispose néanmoins d’une grange – « une énorme grange, le rêve d’un sculpteur ! » – et de beaux espaces où le couple aménage quatre ateliers. Valentine peut enfin peindre à son aise.
Valentine Prax est désormais un nom reconnu, des expositions personnelles lui sont consacrées à Londres, à Chicago, à Philadelphie, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en décembre 1934. A Paris, elle participe au Salon d’Automne de 1933 et 1936, au Salon des Tuileries de 1935. A l’occasion de « l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne » inaugurée en mai 1937, Zadkine reçoit plusieurs commandes ; pour sa part Valentine Prax se voit confier la peinture de l’une des grandes verrières du musée d’Art moderne, sur le thème de l’Aviation ; les autres sont exécutées par Touchagues (1893-1974), François Desnoyer (1894 - 1972), Francis Grüber (1914-1948) et Hermine David (1886-1970).
La guerre trouve les deux artistes en plein travail aux Arques : Zadkine poursuit la taille du grand Christ (1938/1940) en bois d’orme, aujourd’hui déposé dans l’église du village ; de son côté Valentine s’est attelée à un projet de cartons de tapisserie pour l'atelier Legoueix d'Aubusson mais les événements se précipitent et les tapisseries ne seront pas exécutées, en dépit du soutien de Jean Lurçat.
1939-1945
« Dès que les troupes allemandes arrivèrent à Paris, je sentis que toute notre vie était menacée, et aussi les sentiments et les pensées ».
Face à la menace, Valentine trouve en elle des forces insoupçonnées. Elle convainc Zadkine d’embarquer in extremis pour les Etats-Unis mais décide de rester pour défendre leur œuvre. Elle assume le poids de distance, de silence forcé de l’exil. L’atelier parisien de la rue d’Assas est confisqué. Elle sauve les bronzes de Zadkine mais déchire ses toiles « plutôt que de les voir éparpillées sous la botte nazie ». Elle endure la faim et les angoisses de l’Occupation dans la complète solitude de la maison des Arques, en butte aux persécutions de la milice locale. La peinture est son seul viatique – « cette période de la guerre fut la meilleure pour ma production artistique », confesse-t-elle. La Fin des temps heureux, Arlequin dans la ferme dévastée, La Fin des temps romantiques… A Paris, la Galerie de France lui consacre avec succès une exposition en octobre 1942 mais la puissance panique de ces compositions ne sera dévoilée qu’après la guerre – à la Galerie d’art du Faubourg en mai 1950, au Salon des Tuileries en 1951, au Salon d’Automne de 1952.
Les Forces du mal que Valentine exorcise sur sa toile sont en passe d’être vaincues quand les nouvelles tant espérées de New York portent le dernier coup de grâce : Zadkine a décidé de ne pas rentrer.
1941-1945
Exil aux Etats-Unis
Zadkine embarque à Lisbonne le 20 juin 1941 sur l’Excalibur, dernier bateau américain à quitter l’Europe. A New York, il loue un atelier dans le quartier de Greenwich Village : tout est à improviser, à recommencer « mais le cœur n’était pas à la sculpture. Je recevais de trop mauvaises nouvelles de la France. » Et de trop rares lettres de Valentine, isolée, harcelée, « sidérée » par les forces de destruction.
Pourtant dès octobre 1941, Zadkine expose à la Galerie Wildenstein, des gouaches pour l’essentiel. En mars 1942, la Galerie Pierre Matisse l’invite à participer à l’exposition « Artists in Exile » aux côtés de Léger, de Chagall, de Lipchitz…
Zadkine mène aussi une activité d’enseignant, notamment à l’Art Students League.
La lecture du livre de Mario Meunier La légende dorée des dieux et des héros lui inspire une série de dessins sur Les Travaux d’Hercule – les combats héroïques sont d’actualité et passent par le symbolisme plastique et poétique de La Prisonnière (1943) ou du Phénix (1944), deux sculptures marquantes de cette période.
Le 5 septembre 1945 Zadkine obtient son visa, le 28 il débarque au Havre.
1945-1958
« Recommencer à construire »
Zadkine rentre en France «bien changé, ravagé » mais reprend vie dans sa terre du Quercy. «Je fis d’abord un groupe de trois personnages dont le bas était comme un lendemain de désastre – formes cassées, chaotiques dans leur déchéance – et le haut troué mais rebâti ; j’étais devant La Forêt humaine ». Son art retrouve, au sein du chaos, une unité de mouvement et d’élan. Le souvenir des villes fracassées par la guerre – Le Havre, Rotterdam –, lui dicte le projet de monument de La ville détruite « avec ses bras jetés vers le ciel ». La municipalité de Rotterdam lui passe commande de ce monument en 1950. La même année, Zadkine reçoit le grand prix de sculpture de la Biennale de Venise et participe à l’exposition « L’Art sacré, œuvres françaises des XIXe et XXe siècles » au Musée national d’art moderne. La première œuvre sur bois qu’il aura taillée à son retour avec « une joie intense et intime » est un Christ, acquis par l’Etat en 1952. Il poursuit dans son atelier parisien ou à l’Académie de la Grande Chaumière l’expérience de l’enseignement. La reconnaissance internationale se manifeste par les expositions du Palais des Beaux-Arts à Bruxelles (1948), du Boymans Museum à Rotterdam (1949), de la galerie Fujikawa au Japon (1954).
1945- 1967
La deuxième partie de la vie de deux artistes
« J’ai toujours éprouvé un grand sentiment d’étonnement devant la vulnérabilité d’une chose, d’un animal, d’une plante. En somme tout fait partie de ma vie, tout me paraît devoir durer. »
Cette conscience intime de la responsabilité de l’artiste se mue en acte de foi alors qu’autour d’elle tout a été déchiré, fracassé, pulvérisé. En 1945 un télégramme arrive de New York : « Suis malade, malheureux, sans argent. Acceptes-tu que je revienne ? » La vie commune reprend. Zadkine a cinquante ans, Valentine Prax quarante-trois. Ils entament « la deuxième partie de la vie de deux artistes » dans un quasi dénuement. Valentine peint La Jeune et la Vieille Sorcières, Les Sorcières en transes, Les Naïades… Autant de toiles qui opèrent comme un sortilège pour retrouver la paix et l’harmonie de La vie intérieure – un tableau que Valentine achève vers 1960.
L’année 1963 lui apporte la consécration d’une grande exposition à la Galerie Katia Granoff qui réunit cinquante tableaux. Désormais le monde de Valentine se déploie Entre l’Onde et l’Azur, affranchi du « risque latent des gouffres verts », délivré des « bateaux sans voile comme des oiseaux blessés » (poème inédit). Le Dernier voilier (1960), Jeu marin (1966), Les Gens de la mer (1966), Les Gens heureux ou Le Jour enchanté (1969-1970), Le Pauvre Pêcheur (1970), L’Enfant heureux (vers 1970)… Transfigurée par la grâce, sa peinture réfléchit l’image d’une création fluide où tous les règnes communient dans la clarté de l’éternité retrouvée.
1967-1981
Le 25 novembre 1967, Zadkine meurt.
« Fais ton propre travail »… Valentine Prax continue de peindre, d’exposer – Galerie Chappe- Lautier à Toulouse en 1968 ; Galerie René Drouet à Paris en 1968, 1971, 1973 ; musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1976.
Fidèle à la promesse faite à Zadkine de veiller sur son œuvre, Valentine consacre une grande part de ses forces à la création d’un musée Zadkine.
Encouragée par Jacques Lassaigne, directeur du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, elle entreprend des démarches auprès de la Ville qui accepte en 1978 une donation d’une importante partie de ses biens. L’année suivante, une exposition Zadkine à l’Hôtel de Ville marque l’événement.
Cette donation est confirmée par le testament de 1980 où Valentine Prax lègue à la Ville de Paris la totalité de ses biens, à charge pour la municipalité de créer un musée rue d’Assas.
Le 15 avril 1981, Valentine Prax meurt.
Un an plus tard, le 19 avril 1982, Jacques Chirac, maire de Paris, inaugure le musée Zadkine.